La nouvelle révolution numérique basée sur l’intelligence artificielle (IA) est une opportunité pour améliorer la gestion des ressources humaines. Que peut-on en attendre concrètement dans les collectivités ? Quels outils et quelles bonnes pratiques adopter ? Quelles sont les limites et les risques inhérents à son utilisation ? Organisé en partenariat avec le conseil régional d'Île-de-France, avec le soutien de la MNT, le premier Club RH de l’année 2024 a permis de faire le point sur l’utilisation de l’IA dans la sphère publique.
Matthieu Guyot, directeur d’hôpital détaché à l’ANAP (Agence publique nationale d’expertise du secteur sanitaire et médico-social) a commencé par donner quelques exemples d’utilisation de l’IA dans des établissements hospitaliers en matière RH, comme l’automatisation des plannings et la « météo sociale ». Tout en soulignant qu’aujourd’hui « peu de logiciels métiers implémentent l’IA en RH, et encore moins pour le public », ce qui explique qu’on l’utilise encore peu. Il a été le premier de la matinée à mettre en avant l’intérêt de l’IA pour le temps qu’elle peut faire gagner « pour la rédaction de règlements intérieurs, des lignes directrices de gestion, des PV de réunion » mais aussi pour la recherche de données et dans le cadre de la mise en place de chatbots.
Une utilisation encadrée par l’Union européenne
Matthieu Guyot a lui-même testé les performances de la version 4.0 de ChatGPT sur son CV pour un poste fictif. Cette IA conversationnelle est capable de « faire ressortir les points forts et les points faibles du candidat à partir de son CV, des postes qu’il a occupés, des opinions exprimées sur les réseaux sociaux, d’analyser sa personnalité au regard d’un modèle », a-t-il expliqué. On peut même lui demander les questions poser au candidat lors de l’entretien.
Néanmoins, ChatGPT n’est plus habilité aujourd'hui à aller chercher des informations sur les réseaux sociaux tels que Facebook ou Instagram. En parallèle, un nouveau règlement européen, adopté le 2 février 2024 - équivalent du RGPD (règlement général sur la protection des données) - encadre désormais le développement et l’utilisation de l’IA. Matthieu Guyot a conclu son intervention en rappelant la nécessité d’une « supervision humaine pour toute utilisation de l’IA en RH » et en conseillant de cantonner son utilisation à des besoins bien identifiés.
Supprimer les tâches répétitives
Élève conservateur territorial de bibliothèques à l’INET (Institut national des études territoriales), Jonathan Perrin est venu partager les résultats d’une étude menée avec d’autres élèves ingénieurs en chef et administrateurs territoriaux, à la demande et au sein de la Ville de Montreuil. À la question de savoir si l’IA pouvait représenter une opportunité pour les services publics locaux, les élèves de l’INET ont répondu qu’elle pouvait permettre de « supprimer des tâches répétitives et faire gagner du temps » mais que son utilisation soulevait la question de la perte éventuelle de compétences des agents à long terme. Les difficultés à recruter des data scientists constitue un autre frein, qui peut être levé en « faisant appel à des étudiants en master et en mutualisant avec d’autres collectivités ». Jonathan Perrin a par ailleurs conseillé aux collectivités de « faire de la veille sur l’IA avec un groupe de travail dédié » afin de ne pas se laisser dépasser.
Constitution d’une base de connaissance
Marie Kernaleguen, responsable communication du centre de gestion du Finistère (CDG), a partagé l’expérience de l’établissement sur le déploiement d’un chatbot RH proposant un premier niveau de réponse aux agents et au grand public sur la carrière, les concours, les offres d’emploi et la promotion interne. Six mois de travail ont été nécessaires, notamment pour constituer la base de connaissances à partir des informations contenus dans le site internet du CDG.
Lancé en juillet 2023, l’agent conversationnel a reçu environ 3 500 questions auxquelles il a pu répondre à 53 %. Le CDG a constaté une baisse de 10 % des appels, ce qui a permis aux conseillers en RH de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. L’outil et la formation des agents ont coûté 30 000 euros auxquels il faut ajouter 25 000 euros par an pour la maintenance et l’hébergement. L’actualisation est réalisée par les agents à partir d’un système d’alerte sur l’actualité RH.
Des freins à l’utilisation de l’IA
Clément Hemery, directeur du département des systèmes d’information (DSI) du centre interdépartemental de gestion de Versailles, a expliqué les freins à l’utilisation de l’IA dans les collectivités qui sont liés à la nécessite d‘externaliser le traitement des données (en raison d’infrastructures de données non adaptées et au manque de compétences des agents sur les algorithmes d’IA). « Bientôt, l’IA se nourrira non pas d’internet mais de ce qu’on va lui donner. C’est par ce biais qu’elle va entrer dans les collectivités », a indiqué Clément Hemery. L’enjeu aujourd'hui est d’apprendre à construire ses requêtes pour obtenir la bonne réponse de l’IA générative (capable de créer de nouveaux contenus) et de veiller à « ne pas lui faire une confiance aveugle, de garder un esprit critique », a-t-il prévenu.
Vincent Decaux, secrétaire général et directeur des systèmes d'information du GIP Informatique des centres de gestion, a présenté les projets en cours : la constitution d’une bibliothèque nationale des actes administratifs et textes juridiques RH intégrant de l’IA capable de reconnaître les actes et de les classer, ainsi que le recours envisagé à l’IA pour la préparation des sujets de concours et la correction des copies. Il a résumé les interventions de la matinée en soulignant que si « l’IA permet de gagner du temps », elle a aussi des coûts d’apprentissage et de suivi et qu’elle se heurte à des enjeux éthiques liés à la protection des données et à la disparition de certains métiers.
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Article publié le 20/02/2024