Développer la mobilité interne est un moyen de répondre aux difficultés de recrutement, d’éviter l’usure professionnelle et de promouvoir les évolutions de carrière. Qu’elle soit subie, impulsée ou choisie, horizontale ou verticale, comment faire de la mobilité interne un dispositif RH dynamique, au bénéfice à la fois des agents et de la collectivité ? Quels outils déployer pour anticiper et faciliter les changements de poste ? Les professionnels des ressources humaines territoriaux en ont débattu le 20 juin à Nice, à l’invitation du Club RH de La Gazette.
C’est Sabrina Gambier, directrice des ressources humaines du département des Alpes-Maritimes qui a ouvert la traditionnelle table ronde "Retour d’expériences", en commençant par rappeler quelques chiffres issus d’études menées par le réseau LinkedIn : les salariés restent 41 % plus longtemps dans une entreprise où la mobilité interne est importante et 94 % des personnes interrogées resteraient plus longtemps si l’organisation accordait davantage d’importance à leur parcours.
École des cadres et préparation au reclassement
Le département des Alpes-Maritimes a choisi deux axes de travail pour dynamiser la mobilité interne, thème phare de sa politique RH en 2024. D’un côté, le développement des parcours professionnels avec la création d’une école des cadres et une réflexion sur l’évolution des métiers et des compétences associées. De l’autre, la création du dispositif "Cap management", un accompagnement sur mesure pour des agents en période préparatoire au reclassement (PPR). Pendant six mois, ces agents sont pris en charge par la DRH pour réaliser des bilans professionnels et suivre des formations, avant de réaliser des immersions dans les services.
« Avant, les directions trainaient des pieds pour les reclassements. Le fait que les agents soient désormais formés, avant d’être positionnés, lève les réticences », a indiqué Sabrina Gambier. Dix-neuf agents ont déjà été reclassés et douze sont en cours de reclassement, dont six sur des postes vacants. « Nous souhaitons ouvrir le dispositif à des agents qui ont perdu leur motivation. C’est dommage car il y a des postes très intéressants à pourvoir qui ne sont pas assez connus », a souligné Sabrina Gambier.
Accompagnement individuel et formation collective
Lydie Ré, directrice des ressources humaines adjointe du département du Var, est venue expliquer le changement de cap opéré depuis sa prise de poste en 2019. Période à laquelle la mobilité interne était vue comme "une punition" et soumise à l’autorisation des directeurs. Désormais, les agents postulent en interne selon la même procédure et les mêmes outils que les recrutements externes. Les offres sont publiées toutes les trois semaines, le mardi. Et un délai de six semaines a été fixé pour la prise du nouveau poste à partir du recrutement.
Un accompagnement individuel et des ateliers collectifs, animés par le conseiller mobilité-carrière, sont proposés à tous les agents ayant un projet ou une envie d’évolution. Un gros travail de communication a également été mené pour faire connaître les postes à pourvoir. « Nous avons par exemple organisé des webinaires pour que les directions ayant des métiers réputés difficiles puissent se présenter et répondre aux questions des agents intéressés », a relaté Lydie Ré.
En parallèle, des plans de formation collective ont été définis pour renouveler les compétences. En ce sens, un partenariat a été conclu avec l’université pour la formation d’agents aux marché publics dans le cadre d’un DU d’un an, à raison d’une journée par semaine. Un cuisinier des collèges et un responsable de la flotte automobile ont, notamment, pu se reconvertir. « Nous aimerions faire de même pour les métiers de la comptabilité et des finances », a précisé Lydie Ré. Tous les ans, une campagne de mobilité est également organisée pour les agents des collèges pour leur permettre de changer d’établissement ou de métier.
Se doter d’outils socles comme le répertoire des métiers
Pour "donner envie" aux agents de postuler en interne, François Bernard, ancien directeur général adjoint RH de collectivité, a conseillé aux collectivités de « retravailler la manière dont elles présentent leurs offres », à l’image de ce qui est fait à destination des candidats externes. Plus largement, a-t-il expliqué « la réussite de la mobilité interne suppose de se doter d’outils socles, comme le répertoire des métiers qui permet de repérer des potentiels et à l’agent de se projeter ». Il a aussi préconisé de créer un observatoire associant des professionnels du privé pour avoir une vision élargie des besoins en compétences. Bien connaître sa "cible", autrement dit les besoins des agents, est tout aussi indispensable. « Pour ce faire, les agents doivent se sentir libres d'exprimer leurs aspirations, notamment dans le cadre des entretiens professionnels », a-t-il relevé.
Si le socle est essentiel, les collectivités doivent aussi être capables de proposer des solutions qui sortent des sentiers battus, comme une "Semaine de la mobilité interne" pendant laquelle les services ouvrent leurs portes aux collègues. « C’est une manière d’engager les directions », a fait valoir François Bernard. Autres pistes intéressantes : « les partenariats avec les écoles permettant de réserver des places à des agents pour qu’ils se forment » ou encore « la mise en place de solutions d'attente, comme formateur interne, pour les agents pour lesquels une mobilité n'est pas immédiatement possible ».
Des prestations pour anticiper et accompagner
Accompagnement des collectivités dans la mise en œuvre des périodes de préparation aux reclassements, plan individuel de développement des compétences, accompagnement personnalisé à l'évolution professionnelle, bilans de compétences, coaching individuel pour permettre à l’agent d’identifier ses propres ressources… Noël Fiorucci, directeur des missions obligatoires RH du centre de gestion des Alpes-Maritimes a présenté les outils pouvant être mobilisés par les collectivités pour anticiper et accompagner la mobilité interne. « Nous aidons les agents à identifier leurs potentiels, à faire émerger leurs valeurs professionnelles, à exprimer leurs motivations, à se "vendre" », a expliqué Noël Fiorucci.
Il a également présenté le nouveau module GPEEC de la plateforme "données sociales" des centres de gestion qui permet aux collectivités, une fois les données métiers, agents et l’organigramme saisis, de donner une vision des tensions sur les retraites, des niveaux d’usure… Mais aussi de sortir des études de mobilité avec les écarts entre les compétences et savoirs acquis et à acquérir, et des propositions de formation.
Compétences et employabilité au cœur de la transformation
La matinée a été clôturée par Sabrina Loufrani. Professeure des universités en sciences de gestion et du management à l’Université Côte-d’Azur, elle y occupe également des fonctions politiques en tant que chargée de mission Développement des ressources humaines. C’est avec cette double casquette qu’elle est venue présenter la manière dont la gestion des ressources humaines a été repensée pour accompagner la transformation de l’université devenue "établissement public expérimental" en 2020.
« Nous avons restructuré la DRH, qui avait une vision très statutaire de la gestion des personnels, en différents pôles en la dotant de moyens humains », a indiqué Sabrina Loufrani. Objectifs : faire de la DRH un partenaire stratégique d’accompagnement du changement et de la montée en compétences des agents. Un plan mobilité-carrière a été établi pour passer d’une logique de poste et de statut à une logique de management des compétences et d’employabilité. « Que ce soit pour des recrutements externes ou internes, la compétence doit être un élément central », a souligné Sabrina Loufrani avant de conclure en rappelant que « la mobilité interne relève d’une politique d’emploi ».
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Article publié le 25/06/2024