- Les transformations institutionnelles, politiques et sociétales, mais aussi la succession de crises et de ruptures qui ont impacté les collectivités au cours du dernier mandat communal ont fait profondément évoluer le rôle de directeur général des services (DGS). Pensez-vous que cette évolution va se poursuivre dans les prochaines années ?
- Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de transformation radicale de l’environnement stratégique et la crise liée à la pandémie de la Covid-19 en est le grand marqueur. Nous vivions avec un sentiment diffus de crise permanente. Désormais les événements hautement critiques, sidérants et déroutants, suscitant de surcroît une hyper réactivité du système social et politique, ne cessent de surgir et de s'enchaîner : crise financière, terrorisme, crise migratoire, « Gilets jaunes », Covid-19... Le monde devient fondamentalement chaotique. Et le dérèglement climatique ne fera qu'alimenter ces surgissements de chocs bien réels. Face à cet environnement hostile et radicalement incertain, les DGS devront donc assumer et déployer pleinement toutes les évolutions de leur rôle qui ont émergé ces dernières années.
- Comment imaginez-vous le DGS de demain ?
- Les nouveaux défis en matière de développement durable et d’écologie donnent aux collectivités une dimension sociétale nouvelle et appellent à un renouvellement du sens de l’action publique. Le DGS de demain sera donc de plus en plus stratégique, car il devra co-écrire avec les élus un projet qui, d'une part, renforce la capacité des territoires à faire face aux chocs, et, d'autre part, impulse une transformation rendant envisageable la perspective d'un futur habitable. Il sera tout autant de plus en plus manager. Au sein de l'organisation, et afin de mettre en œuvre ce projet, la confiance, les coopérations verticales et horizontales, comme la capacité à réinterroger ses manières de faire et de penser prendront une haute valeur ajoutée. Se dessine alors la figure d'un DGS incarnant une fonction de leader qui le sort de l'ombre. En interne, il prend la parole régulièrement, porte une vision, impulse une transformation. En externe, il associe de nouveaux acteurs à l'action publique locale.
Le DGS de demain sera de plus en plus stratégique, car il devra co-écrire avec les élus un projet qui renforce la capacité des territoires à faire face aux chocs et impulse une transformation rendant envisageable la perspective d'un futur habitable. »
- La formation des DGS est-elle adaptée aux futurs défis que le monde territorial va devoir relever ?
- Il existe de nombreux dispositifs de formation et le travail réalisé par les associations professionnelles est lui aussi tout à fait fondamental. Il y a cependant des champs de compétences à investir. Ainsi, en matière de renouvellement des pratiques démocratiques, il y a un enjeu important de professionnalisation relatif aux démarches participatives des citoyens. Concernant l'accompagnement des changements de mode de vie des habitants, le rôle du DGS est de sensibiliser et d’éclairer les élus. Cela suppose de maîtriser des savoirs et une expertise reposant sur une compréhension fine des mécanismes sociaux qui sous-tendent les attitudes des gens et pas seulement sur des données factuelles et comportementales.
Il va leur falloir, en outre, acquérir une meilleure connaissance du vivant et des systèmes écologiques pour faire des entités non-humaines des partenaires de l'action. Enfin, le DGS se doit d'être pro-actif dans la construction d'une relation coopérative avec l’élu et ainsi pouvoir jouer pleinement son rôle. Des échanges de pratiques entre pairs me semblent pouvoir être utiles, comme peuvent l'être des accompagnements individuels permettant au DGS d'être plus au clair avec lui-même pour mieux gérer cette relation.
- Quels leviers le DGS peut-il actionner pour mettre en œuvre le concept de « territoire habitable » dans les politiques publiques locales ?
- Tout d'abord, cela nécessite de ne pas raisonner en silo, mais de tisser en permanence les politiques publiques autour de trois enjeux intimement liés : le renouveau démocratique, la prise en compte forte des vulnérabilités sociales et le compte à rebours écologique.
Ensuite, un cap doit être franchi : dépasser la simple participation des habitants à la décision pour aller vers leur contribution à l'action. Sur tous les sujets clefs (habitat, santé, mobilité, éducation, solidarité...), nombre d'habitants mais aussi d’entreprises privées sont déjà à l'œuvre. L'enjeu est de capter cette dynamique émergente renforcée par la crise de la Covid-19. Un nouvel espace s’ouvre, plus complexe, qui consiste à accompagner cette prise en charge de l’action publique locale par les acteurs du territoire : apporter l’ingénierie nécessaire pour renforcer leur pouvoir d'agir et montrer son soutien tout en laissant ces acteurs trouver leur place.
Enfin, un dernier levier plus méthodologique consiste à adopter des démarches du type Objectifs de Développement Durable. Elles offrent un cadre de référence pour l'interne comme pour l'externe autour duquel le DGS peut faire éclore ce que j'appelle des "collectifs agissants" rassemblant agents, habitants, acteurs privés et autres collectivités.
En savoir plus :
- L'étude dans son intégralité
- La synthèse de cette étude
- 24e étude de l'Observatoire MNT : le métier de DGS à la loupe
- DGS, un métier surexposé mais valorisant
- Un DGS de plus en plus stratégique et managérial
- L’ouverture des organisations territoriales fait émerger un nouveau type de DGS
- La transformation du rôle de DGS accélérée par les crises et les réformes territoriales
- Des pistes pour aider les DGS à parachever leur transformation
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Article publié le 17/12/2021