Après un arrêt long, comment réintégrer le collectif et réussir la reprise du travail ?

Des arrêts longs qui se multiplient en lien avec l’usure professionnelle, une situation qui se détériore progressivement dans un contexte de vieillissement de la population territoriale et d’allongement des carrières du fait de la réforme des retraites : ce constat partagé par les intervenants fait écho à l’étude de l’Observatoire MNT, parue en octobre 2023, intitulée Absences au travail, des repères pour agir dans les services publics locaux. « S’il y a des absences dans un service, la charge de travail se reporte sur les autres agents. On fonctionne alors en mode dégradé, ce qui va occasionner de nouveaux arrêts et donc une situation qui se dégrade encore plus. C’est un cercle vicieux », alerte Guillaume Gonon, directeur du Pôle santé du centre de gestion 69 (Rhône et métropole de Lyon).

Une approche curative, pas assez préventive

« La logique serait d’investir massivement dans la prévention primaire pour essayer de rompre cette spirale de "l’échec" mais il n’y a pas de véritable volonté des employeurs de s’engager dans des démarches de prévention primaire. Nous sommes toujours dans une approche curative », constate Guillaume Gonon, regrettant que les réflexions et stratégies sur ce sujet soient très peu répandues dans les petites et moyennes collectivités, « un peu plus dans les grandes ». Autre problématique : des aides publiques difficilement mobilisables, avec un Fonds National de Prévention (FNP) peu doté financièrement et « dont le fonctionnement est relativement technocratique, avec un manque d’opérationnalité », selon Guillaume Gonon.

Des agents plus proactifs, formation, reconversion

L’enjeu est aussi de responsabiliser les agents dans les arrêts longs. « Il doivent comprendre qu’il faut qu’ils aient une proactivité dans leur carrière et qu’ils envisagent, dès l’embauche, que ce ne sera peut-être pas la même carrière qu’ils auront tout au long de leur vie », explique Laetitia Paolaggi, médecin généraliste, médecin conseil et responsable du service médical de la MNT. Propos approuvés par Emmanuelle Rivoallan, directrice des ressources humaines de la ville et de la métropole de Brest, membre de l’ANDRHDT, qui souligne la pénibilité de certains métiers de la fonction publique territoriale (FPT), comme ripeurs, élagueurs… « A Quimper, par exemple, un dispositif spécifique a été mis en place vis-à-vis des élagueurs dès l’entretien de recrutement ». Laetitia Paolaggi conseille « de ne pas se couper d’éventuelles formations pour envisager le futur et essayer une reconversion si besoin ou des aménagements avant même d’avoir besoin d’un arrêt de travail ».

Écoute et détection des signaux faibles

Faisant référence au colloque de la MNT sur "les absences au travail" qui s’est déroulé le 10 octobre dernier, Guillaume Gonon pointe la nécessité d’anticiper et de former les managers à l’écoute de ces signaux faibles « pour pouvoir les détecter et acquérir cette capacité d’observation et d’écoute ». Quels sont ces signaux faibles ? Il peut s’agir d’arrêts réguliers de courte durée (1 à 2 jours), d’un manque de participation de l’agent au collectif, d’une forme de désengagement, de l’évocation de douleurs… Et de signaler un risque majeur autour de la santé mentale, qui concerne aujourd’hui une part importante des arrêts longs (dépressions, syndromes anxio-dépressifs post-Covid…). « De nouvelles formations de secours en santé mentale viennent d’être instaurées par le CNFPT, informe-t-il. Et dans le cadre des contrats que nous avons avec la MNT (prévoyance -maintien de salaire), il y a des entretiens avec des psychologues avec des psychologues qui peuvent être proposés aux agents gratuitement. La collectivité peut aussi conseiller à l’agent d’aller voir le médecin du travail. Donc détectons d’abord, puis orientons vers des ressources pertinentes pour éviter que les signaux faibles ne se transforment en arrêt long. »

Prise de contact et lien pendant l’arrêt

Rappelant que rien ne l’interdit, les intervenants ont encouragé à garder le lien avec l’agent, à condition qu’il soit d’accord, que ce soit le manager ou toute autre personne de confiance nommée par l’agent. Et pour ne pas être trop intrusif, la prise de contact peut d’abord se faire par courrier. « Un agent en arrêt de travail a aussi tout à fait le droit, et c’est même conseillé, de solliciter pendant son arrêt ses ressources humaines, et de voir le médecin du travail. Il a le droit de dire ce qu’il veut de sa pathologie. Cette connaissance par les collègues et managers permet aussi de mieux appréhender la reprise », témoigne Laetitia Paolaggi. « On propose également un contact par une assistante sociale, notamment pour des agents en situation difficile quand, par exemple, ils tombent à demi-traitement et n’ont pas de prévoyance », relate Guillaume Gonon.

Contrôle « positif » des arrêts

« Nous intervenons quand il y a passage à demi-traitement au bout de 90 jours (trois mois) en maladie ordinaire, au bout d’un an en longue maladie, et trois ans en congé de longue durée. Nous essayons toujours de mettre l’agent au centre du dispositif et le contrôle qui est effectué n’est pas négatif, c’est un lien. Par ce contrôle, et donc le savoir de ce qui arrive aux agents, nous pouvons mettre en place des accompagnements, des actions curatives qui peuvent leur permettre de mieux appréhender la reprise de travail et d’envisager, en fonction de leur état de santé, un retour pérenne », témoigne Laetitia Paolaggi. Le CDG 69, qui conduit d’ailleurs un travail avec la MNT sur les situations d’arrêt individuelles dans le cadre de la prévoyance, est l’un des premiers centres à avoir développé un service de médecine statutaire et de contrôle. « On constate qu’il y a très peu de fraudeurs et, dans la plupart des cas, les agents ne profitent pas du système. Ce contrôle sert à trouver des solutions », confirme Guillaume Gonon. Et d’expliquer qu’il est « important que les collectivités développent aussi une réflexion autour du contrôle des arrêts ».

Managers démunis, tabous à lever

Des managers qui peuvent se sentir démunis, ou qui s’interrogent sur les questions qu’ils sont en droit de poser ou non à l’agent, c’est aussi une réalité que font remonter les intervenants. « Il faut lever une forme d’autocensure auprès des managers », confie Emmanuelle Rivoallan. Et de témoigner du dispositif déployé au sein de sa collectivité. « Nous avons mis en place une réunion destinée aux managers pour encore une fois lever des tabous, des craintes et des réunions collectives qui visent à la fois les agents et les managers, organisées deux fois par an pour les agents en arrêt à partir de trois mois. L’objectif est de pouvoir partager avec d’autres collègues des préoccupations communes, de présenter les droits et obligations des agents, les perspectives sur la reprise, les possibilités en termes d’aménagements de poste, de temps partiel thérapeutique, etc. C’est aussi ne pas faire culpabiliser l’agent et, en même temps, lui permettre de garder un pied à l’étrier pour envisager la reprise plus sereinement. Parce que le monde bouge quand on n'est pas là, et les organisations évoluent… »

Organiser et mieux préparer la reprise, éviter les rechutes

« Pour un agent qui se trouve dans un tunnel d’absence en arrêt long, il faut à un moment donné que le retour à l’emploi puisse s’organiser dans les meilleures conditions », estime Guillaume Gonon. Et de poursuivre : « La médecine du travail va préconiser des études de poste, des aménagements… mais ils sont aujourd’hui souvent mal acceptés par les employeurs et les collectifs de travail ». Emmanuelle Rivoallan le rappelle : « Si les agents reprennent dans les mêmes conditions que lorsqu’ils ont quitté la collectivité, les risques de rechute sont très importants. C’est pourquoi nous avons mis en place un entretien de reprise avec la DRH qui permet au collègue d’envisager tous les dispositifs qui pourront être mis en œuvre pour lui faciliter la reprise et éviter la rechute ». Et de témoigner que pour des pathologies lourdes, avec des séquelles pour l’agent pouvant aller jusqu’à cinq ans, il est indispensable d’avoir un accompagnement sur la durée.

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Article publié le 12/12/2023

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