En préalable, Mathilde Icard, directrice générale des services (DGS) du centre de gestion du Nord (CDG 59) et présidente de l’ADRHGCT, a rappelé qu’il y a eu, ces dernières années, une meilleure prise en charge du suivi de santé au travail, avec de vraies équipes pluridisciplinaires au sein des collectivités ou pour les collectivités.
Vieillissement des agents et risques professionnels
Les facteurs de risques actuels sont multiples, avec des enjeux déjà liés au vieillissement des agents. « Selon les territoires, nous sommes à environ un départ sur cinq d’agents qui vont faire valoir leur droit à la retraite dans les prochaines années », précise Mathilde Icard. Autre facteur de risque pointé par la DGS : une forte exposition aux risques professionnels. Cela se traduit dans la relation au public et dans les contraintes liées au service public rendu mais aussi dans le cadre de l’environnement de travail avec des ressources financières des collectivités qui se tendent et des enjeux sur les RH, tels que des difficultés à recruter. « Il y a d’ailleurs un risque général de dégradation de l’attractivité et en contrepoint, un intérêt donc à travailler sur la prévoyance comme facteur d’attractivité sur un territoire ». La question de la digitalisation percute également les modes de travail. « Si nous ne le prenons pas en compte sur le plan RH, cela développe des risques professionnels et atteint la santé des agents et du travail en général. »
Des risques psychosociaux, face cachée de l’iceberg
C’est une autre réalité que relate Estelle Périé, psychologue du travail, ergonome et correspondante handicap du centre de gestion de l’Aveyron (CDG 12). « Au niveau du service de médecine, la porte d’entrée, c’est un souci physique mais on se rend compte qu’il y a un souci bien plus important. Il y a la face visible de l’iceberg, le plus souvent des problèmes physiques derrière lesquels se cachent un mal-être, un stress intense et ce qu’on appelle des risques psychosociaux (RPS). » Et de poursuivre : « Il faut prendre en charge la personne dans son individualité et petit à petit comprendre ce qui se passe dans l’organisation du travail, pour pouvoir ensuite aller à la rencontre des élus et des DGS, pour leur expliquer ce qu’il se joue dans leurs services et les accompagner, les informer de ce qui peut être mis en place sur le plan de la prévention ».
Une prise de conscience des enjeux autour de la santé mentale
L’un des enjeux principaux concerne la santé mentale qui, pour les deux expertes, est mieux appréhendée et plus discutée depuis la phase de crise sanitaire. Estelle Périé parle ainsi d’une prise de conscience. Et Mathilde Icard de rappeler la définition de la santé mentale, celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui est la plus reconnue : « un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d'être en mesure d'apporter une contribution à la communauté ». Selon elle, « pour pouvoir préserver cette santé mentale, il faut ainsi notamment pouvoir se réaliser dans son travail ».
Une meilleure compréhension
Toutes deux n’ont pas manqué de souligner une évolution importante et positive. « La responsabilité de l’employeur sur l’ensemble des sphères de la vie des agents est plus claire. Il y a quelques années, jamais on n'aurait osé maintenir le lien avec un agent en arrêt », cite en exemple Mathilde Icard. Cette dernière pointe également l’enjeu de management bienveillant, empathique, altruiste, par la confiance qui a un effet et « nous permet de constater qu’on peut agir partiellement sur la santé des personnes et aussi sur sa propre santé ». Estelle Périé poursuit : « les services RH des collectivités ont aussi vraiment le réflexe de nous appeler et très régulièrement on les accompagne dans la compréhension de cette dimension santé mentale ». Toutes deux indiquent l’importance de la formation signalant que le CNFPT a mis en place des formations de sauveteurs secouristes en santé mentale.
Une méthodologie avec diagnostic et analyse fine
Comment mieux prendre en compte ces risques dans le cadre d’une politique RH ? Selon Mathilde Icard, il importe d’abord d’avoir des chiffres, des données sur les maladies, sur les arrêts, sur le temps passé dans les arrêts courts et dans les arrêts longs... « Partir d’un diagnostic va permettre de travailler sur les bons sujets qui peuvent être différents selon les équipes d’une collectivité ou bien génériques à tous. Dans la méthode, ce qui est important, c’est vraiment d’objectiver pour savoir de quoi en parle réellement, d’avoir des données et de structurer les équipes RH pour construire ces tableaux de bord, et pouvoir en discuter avec les managers afin qu’ils puissent mettre en place leurs plans d’action ». Pour Estelle Périé, faire ce diagnostic peut s’avérer aussi parfois délicat, en particulier dans des territoires ruraux, nécessitant d’avoir une analyse vraiment très fine en ne se centrant pas uniquement sur la sphère professionnelle mais aussi un peu plus sur la sphère personnelle.
Echange, partage, accompagnement, sensibilisation
« Ces questions sont souvent de la compétence d’experts et c’est important. Mais ce qui fait que ça peut fonctionner dans des projets de santé au travail et dans l’emploi, c’est le fait que les différents experts puissent parler et travailler ensemble. Ca ne peut pas être le monopole d’une équipe. C’est forcément l’affaire de tous, y compris des syndicats », constate Mathilde Icard. Cette dernière prône d’ailleurs une approche transdisciplinaire, différente de la notion de pluridisciplinaire, qui met la personne au cœur du dispositif.
Le centre de gestion de l’Aveyron, pour sa part, accompagne et sensibilise les collectivités sur le fait de remettre le travail au cœur de chaque service, en créant des espaces de discussion et d’échange, « pour parler des attentes de chacun sur le travail afin de diminuer le gap et sur l’importance d’avoir du soutien, de la cohésion d’équipe », précise Estelle Périé. « Nous ressentons qu’il y a de moins en moins ce soutien, notamment entre agents ».

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Article publié le 05/07/2023
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